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making of

wednesdays and fridays with
making of
Casino Luxembourg  -  Forum d’Art Contemporain
16.09.2012 – 16.12.2012

 

wednesdays and fridays with Bruno Baltzer and Gea Casolaro

texte de Nathalie Dibbern

24.11.2012

 

 

For this occasion I showed the work Louvre, visible on the last image, outside the studio. The installation shows the works of Gea Casolaro and Bruno Baltzer. Photos © studio vesotsky

 

Des regards_projet curatoriel de Nathalie Dibbern pour le projet wednesdays and fridays with de Leonora Bisagno dans le cadre de Making of auprès du Casino Luxembourg – Forum d’Art Contemporain.


24.11.2012 - 26.11.2012
Gea Casolaro
Due Palermo uno sguardo, 2003-2006, 00:18:34
« Le più avanzate, le più sole» 2007, série de 16 photographies
Cartoline personali, 2003-2006, 15 cartes postales réalisées en 750 exemplaires

Bruno Baltzer
Foraines, 2005-2012, 6 tirages (2012) d’une série en cours
Parallax-scopies, 2011, tirages pigmentaires, série progressive
GMmHTCYZNF, 2012, 00 :06 :20

D’après l’invitation de Leonora Bisagno pour une proposition curatorielle dans son atelier temporaire (ou en fait tout près de ce dernier) auprès du Casino Luxembourg – Forum d’Art Contemporain, j’ai voulu tenter une recherche autour de Leonora elle-même et de son désir de créer un ensemble d’associations multiples.
Cette correspondance, dans le complexe système relationnel de Leonora, s’est en fait naturellement et aisément révélée : un texte écrit par Leonora sur Aperture, revue italienne online de culture, art et philosophie ( http://www.aperture-rivista.it/  ).
Leonora a été invitée par l’artiste Gea Casolaro à proposer des textes autant que des images autour du thème du fragment.
Le texte très personnel et poétique de Leonora et bien construit par fragments, commence et termine d’une façon toute à fait particulière.
Pour Gea, pour commencer...…………………………………………………….Je t’aime Bruno.

Gea et Bruno, donc, et un petit aperçu de ces deux artistes à travers une sélection de leurs travaux.

Gea Casolaro (Roma, 1965) vit et travaille à Paris.
Bruno Baltzer (Nyons, 1965) vit et travaille à Luxembourg.
Gea Casolaro travaille principalement avec la photographie, la vidéo et l’écriture.
Bruno Baltzer travaille principalement avec la photographie et les nouveaux médias.
Gea Casolaro travaille depuis la moitié des années ’90 et sa démarche artistique concerne le regard à travers une lecture historique, sociologique et anthropologique de la réalité.
Bruno Baltzer travaille depuis 2001. Sa recherche visuelle concerne le regard, à travers une réflexion centrée sur le medium même afin d’en révéler persistances et altérations de sens.
Gea Casolaro et Bruno Baltzer travaillent donc autour la question du regard.

1.  1,2,3….
Gea Casolaro
Due Palermo uno sguardo, 2003-2006, 00:18:34

Bruno Baltzer
Parallax-scopies, 2011, tirages pigmentaires, série progressive

Due Palermo uno sguardo est une œuvre audiovisuelle composite dans laquelle Gea Casolaro approche deux lieux situés dans deux hémisphères différents, à partir de leur simple dénomination commune afin d’en trouver un panorama architectonique et naturel bien hétéroclite autant que semblable en générant ainsi une stratification aux sens multiples de la réalité.

Le titre, déjà révélateur, évoque l’existence véritable de deux Palermo : Palermo la ville chef-lieu de  Sicile et le quartier Palermo à Buenos Aires. Les deux, unis dans un regard semi - fusionnel et essentiellement amplificateur de tout lieu.

Á Buonos Aires avec l’appareil photographique. Á Palermo avec la camera vidéo.

Les photographies siciliennes, donc images fixes, intercalent en fondu des séances vidéo de Buenos Aires engendrent un dépaysement perceptif et visuel du sens même et encore plus de lieu. Comment définir enfin un lieu ?

La bande son spécifique : le chant d’un oiseau dans une cage et le trafic de la ville argentine - dilate ultérieurement notre perception de ces « partout » Palermo. Tout lieu en fait y participe : mémoires, paysages vus, reconnus, vécus et pensés, temps et rythmes se retrouvent dans l’expérience quotidienne de tout et d’autre espace en même temps, encore et encore.

Deux visions, qui ne sont jamais deux, qui se fondent mais sans jamais pouvoir être une et en étant toujours autre. En toute ubiquité, sans coupure effective, l’utilisation fondante des deux médias et de leur amplification synésthesique, tout à fait plus dense du déjà complexe audiovisuel, en est effectivement ici la surprise par le biais du moyen photographique. Le regard familiarisé au flux des séquences vidéo est ici obligé à une pause, un ralentissement qui demande un réflexion supplémentaire : regarder.

Gea Casolaro appose un regard, le regard, sur deux réalités différentes mais approchables sous le prétexte du nom Palermo (en nous rappelant quand même la forte migration italienne en Argentine) afin de questionner la certitude perceptive souvent erronément affichée à l’idée même de prise sur la réalité. Glissement, accélération, ralentissement, bouleversement : tout lieu en devient insaisissable hormis à travers un travail incessant autour du regard.
Le paysage de Gea Casolaro est  profondément humain et questionne autant la perception singulière que la réalité historique et géographique. Histoires et cultures lointaines côtoient sans jamais atteindre à une réductrice anthropologie comparative et qui au contraire inoculent un oculaire et conceptuel plus de sens dans la quelle la familiarité et le dépaysement tendent à une seule dimension. Avec Gea Casolaro l’unheimlich freudien est encore plus ancré à sa racine « heim ».  Familier et étrange virevoltent sans arrêt dans un écoulement visuel attendu.

La bande son s’ajoute à cette métamorphose irrépréhensible en signifiant encore plus la distance entre une nature perceptive davantage enfermée et les conditionnements stéréotypés  dictée par une extensive amblyopie culturelle du regard.

 

Différemment du dépaysement géographique et temporel de la conjoncture de Gea Casolaro, le dépaysement est chez Bruno Baltzer dans les Parallax-scopies entièrement localisé.

En mémoire des grandes missions photographiques telles que la mission héliographique dont les points de vue inédits envisagent une nouvelle perception de la réalité urbaine, Bruno Baltzer révèle à son tour une vision et une réflexion tout à fait originale autour de la photographie.
Les images de la série Parallax-Scopies se présentent comme une série des diptyques. Le regard de  Bruno Baltzer y sur-vole la ville et nous offre selon la tradition de la photographie de paysage, des « vues » ou «sur-vues», grâce à une inédite vision, amplifiée par un double regard qui s’effectue en quasi – simultanée.
Les Parallax-Scopies se jouent sur le concept essentiel de la vision binoculaire dans son élémentarité perceptive. Deux appareils photographiques positionnés sur le même axe portant, un sténopé et un reflex digital, de l’argentique et du numérique, en noir et blanc et en couleur. Cette complexité visuelle se mêle et se différencie à nouveau, à chaque fois, dans chaque image.  
Ce travail nous expose à un plus-de-vue (Derrida), terme qui inscrit dans sa construction amphibologique le débordement de la vision multiple et visionnaire et évoque en même temps l’instant de cécité inné à l’acte photographique. La combinaison de l’appareil sténopé, qui empêche le contrôle précis du cadrage mais aussi de son impression, avec le reflex digital, qui révèle instantanément son sujet, donne vie à une heuristique du visible. Le champ de profondeur illimité du sténopé exacerbe le sentiment de continuité visuelle pendant que les zones reconstruites en numérique suggèrent une discontinuité perceptive. Le parallèle entre ces décalages optiques crée une vision modulaire et hypnotique de la réalité, sans qu’une réelle fracture se soit produite. La vision joue une reconstruction spontanée entre action chimique et action mathématique, couleurs monochromes et noirs et blancs riches en subtilité.
Ce dédoublement visuel nous invite à une insistance du regard. Rien ne se répète à l’identique. Les détails qui nous échappent se fixent intensément par une sorte de persistance rétinienne. Entre impression et vision, reconnaissance et vision, connu et déjà connu, le nouveau et l’ancien s’entremêlent distinctement.
Descendant de la photographie stéréoscopique, dont le but était l’accomplissement d’une vision tridimensionnelle, à travers le rapprochement des deux photographies semblables, dans les photos de Bruno Baltzer la stéréopsie est affectée par une sorte de strabisme (défaut de parallélisme des axes visuels), non tant pour une anomalie visuelle mais pour un excès visuel dérivant de l’utilisation simultanée des deux systèmes dichotomiques de création d’images.
Dans l’appréhension panoramique des perspectives « à vol d’oiseau »,  la perception du monde reste entièrement humaine. Le principe architectural de la photographie de Bruno Baltzer, entre construction et reconstruction, recherche encadrée dans la photographie contemporaine, questionne l’idée de représentation stable.

 

étranges maisonnettes

Bruno Baltzer
Foraines, 2005-2012, 6 tirages (2012) d’une série en cours

Gea Casolaro
« Le più avanzate, le più sole» 2007, série de 16 photographies

Les Foraines de Bruno Baltzer font partie de l’immense travail de reconstruction de l’artiste autour de la fête foraine. Privées de tout sentiment de fête ces « maisonnettes » nous apparaissent comme des enseignes mobiles évoquant dans le contexte urbain, et sans aucune intention, paysages du palais (pêche, pêcheurs, friandises, au chalet gourmand, fritures de résonance belge). Ces foraines nomades sur roulettes, vides et fermées de leur fonction purement commerciale, deviennent, ici, dans leur reconstruction faite par apposition de deux visions frontales biaisées sur le même axe, un espace de projection éphémère. Ainsi, inexistantes dans la réalité, elles jouent leur imminente disparition autant que leur certaine réapparition. Cernées dans une zone quelconque d’une ville, les foraines transforment cycliquement le rythme de celle-ci. Dans l’esprit d’un véritable décor cinématographique et se rappelant aussi d’une certaine photographie américaine de paysage des années ’50 -’70 faite d’enseignes lumineuses, sujets pop, mythologies de la banalité, Bruno Baltzer photographie un univers collectif pérenne qui se perpètre à jamais.
Différemment de ce que l’on repère dans les images nocturnes de Bruno Baltzer, l’absence d’humanité, laisse des traces différentes dans la candeur des photographies de Gea Casolaro. Des « maisonnettes » différentes y sont représentées.
L’isolation ici ne se fait pas que par le choix du photographe à partir d‘un espace de promiscuité populaire ; elle est inhérente et indissociable au lieu géographique photographié.
Suite à une commande de la Guardia di Finanza de la région Trentino Alto Adige avec la supervision du Musée d’Art Contemporain de Trento et Rovereto, Gea Casolaro a réalisé deux séries photographiques à la recherche d’une reconstruction historiographique et géographique de zones frontalières. L’exploration de Gea Casolaro définit l’effet de persistance rétinienne à travers la condensation d’histoires et perceptions diverses à travers le temps. Bien au-delà d’un temps périodique et récurrent comme pour Bruno Baltzer ces photographies vivent dans un temps indéterminé où le sentiment de disparition, déjà en acte, se joue dès le départ dans la mémoire et conscience collective.
Des bâtiments de montagne, des chalets apparents qui pourraient bien s’adapter à un guide des régions alpines, révèlent petit à petit leur état d’abandon : ce sont en fait des postes de frontière. La brève projection vacancière évoquée par la beauté naturelle des sites se transforme en une projection entièrement politique, où la fixité de ces bâtiments abandonnés transmet toute la fragilité des frontières humaines.  Encore une fois le monde de Gea Casolaro montre la tension entre espace naturel et construction humaine. Les vues étranges du haut s’entremettent avec les vides et les détails de ces ruines en cours. Dans une époque où les murs continuent à être érigés, ces postes de frontières inscrivent une décadence déjà annoncée et se présentent comme épreuve de cette vulnérabilité dans leur absurde isolation et oubli.

Entre lieux de guerres et de fausses guerres ces univers très éloignés partagent un sentiment d’inconsistance et de précarité.

3.  envois

Gea Casolaro
Cartoline personali, 2003-2006, 15 cartes postales réalisées en 750 exemplaires

Bruno Baltzer
GMmHTCYZNF, 2012, 00 :06 :20

Cartoline personali de Gea Casolaro est une œuvre réalisée dans la commune de Manciano en Toscane en collaboration avec les habitants du village. Poursuivant sa recherche de déconstruction des stéréotypes, la carte postale, effigie des lieux et des monuments plus connus d’une localité, devient pour Gea la représentation de lieux d’affection.
Gea Casolaro a décidé, pour son projet en situ, de travailler en relation avec les citoyens de Manciano afin d’outrepasser la distance que souvent est perçue envers les touristes ou les étrangers. D’où l’idée de défaire l’image de la carte postale classique pour en donner une nouvelle perception plus personnelle, mais aussi plus collective. Les habitants ont montré à Gea les lieux qui sont importants pour eux et qui évidemment diffèrent des lieux reconnus comme patrimoine culturel et touristique d’un site.
Les cartes postales ont été distribuées gratuitement auprès des kiosques, des bureaux de tabacs à côté des autres cartes postales.
Mémoires, histoires personnelles et collectives se retrouvent dans les images seulement en apparence anonymes : des escaliers, des maison, une place du village. Le choix, l’histoire, la relation au lieu sont indiqués sur le recto de la carte postale.
Les Cartoline personali deviennent ainsi un voyage poétique et en même temps une expérience réelle de la vie d’un lieu où ceux qui y vivent y sont enfin véritablement présents. L’essence d’un lieu se nourrit de la vie, la culture, la mémoire les signes et les gestes humains. Tout ce, qui habituellement est ignoré par les vacanciers, est valorisé et dévoilé avec intelligence par Gea Casolaro. Cartoline personali montre avec sensibilité et respect comment il est possible créer un lien tangible entre artistes et communautés locales. Cette expérience est trace palpable d’un vécu.

Aujourd’hui la carte postale, image qui voyage et transmet les messages attendus de ces chers a trouvé des multiples formulations et formes dans l’ère des nouvelles technologies. Sans  le désir de communiquer un message personnel, photographies et vidéos peuvent être envoyés avec le souhait de créer un ensemble qui se réalise en continu transmis et partagés instantanément.
Bruno Baltzer a créé avec Leonora Bisagno une plateforme de création artistique nommée five-seconds développée par Pascal Joube et dessinée par Laurent Daubach. La plateforme five-seconds est un outil qui permet le montage en ligne de séquences vidéos de 5 secondes envoyées par des portables. Le projet est né de l’idée de réaliser des dialogues visuels, d’imaginer des œuvres collectives et participatives.
Après une série des réalisations en ce sens, suivi de projets pédagogiques, Bruno Baltzer a utilisé five-seconds pour sa recherche personnelle.

 

GMmHTCYZNF est une œuvre vidéo achevée au Japon. Dans son expérimentation des nouvelles technologies, Bruno Baltzer a utilisé un procédé vidéo qui ressemble en fait à un mode photographique. Séquences successives ont été faites et envoyées depuis le métro de Tokyo. Images fixes qui se transforment en images mobiles, quand filmées du train, montrent, grâce au ralenti du système mis en place, les détails, les gestes, les expressions d’une ville qui bouge et vibre dans la lumière souterraine. Gestes quotidiens, invisibles fluctuent et rendent tangibles des instants et des impressions fugaces. Sans aucune mise en scène, des attitudes inconscientes se dévoilent sous nos yeux en nous plongeant dans une multitude des différents états d’âme. S’ajuster la cravate, se gratter la tête, passer la main dans les cheveux, gestes d’un paysage humain intime s’alternent avec des écrans de seule lumière, enseignes multi - directionnelles pour tout parcours personnel et collectif.

 

Nathalie Dibbern
Paris, novembre 2012